C’est la Loi numéro 2015-02 du 6 janvier 2015 qui est la première Loi à organiser au niveau national toutes les universités publiques sénégalaises.
Ce retard, cinquante cinq ans après les indépendances, s’explique sans doute par les conditions de la création successive des universités publiques sénégalaises.
Point d’histoire
L’Université Cheikh Anta DIOP (UCAD) (ex Université de Dakar), créée en 1957, est restée presque dix ans sous la double tutelle française et sénégalaise. Dans les mentalités, y compris beaucoup d’enseignants d’alors, elle était la seule université possible à cette époque pour le Sénégal.
Le Recteur de l’Université de Dakar était le directeur de l’enseignement supérieur du Sénégal.
D’ailleurs l’idée et la culture de l’Université unique est tellement ancrée dans les élites que lorsqu’on dit l’Université tout le monde comprend que l’on parle de l’Université Cheikh Anta Diop.
Après la pose de la première pierre par les Présidents Léopold Sédar Senghor et Mariem NGouabi du Congo Brazzaville en 1974, la gestation de l’Université Gaston Berger de Saint Louis (UGB) fut très difficile à l’interne et sous la pression des partenaires techniques et financiers.
À l’interne, les enseignants chercheurs des Facultés de Lettres et Sciences humaines et Sciences juridiques et économiques avaient refusé d’aller à Saint Louis invoquant leurs situations familiales.
Au départ l’UGB devait accueillir les deux premières années de ces deux facultés. Puis apparut l’idée éphémère de faire de l’UGB une université régionale, une université du Sahel, dédiée aux questions environnementales. Dès 1981 les travaux étaient quasiment terminés et l’université est restée fermée jusqu’en 1990.
C’est sous la pression de feu Almamy Mateuw Fall, avec la Convention des Saint Louisiens, qui avait mobilisé les élites Saint Louisiennes que le Président Abdou Diouf avait décidé malgré les conseils de la Banque mondiale et de la coopération française et de l’establishment de l’UCAD sous influence française, d’ouvrir l’UGB sous le nom de l’Université de Saint Louis (USL) en 1990 avec l’appui de la Coopération de l’Italie.
Chef de la section de mathématiques appliquées, durant l’année universitaire 1990-1991, j’avais recruté comme vacataire un professeur français agrégé de mathématiques en service au Lycée Faidherbe, qui avait accepté de braver la directive donnée par l’Ambassade de France de ne pas intervenir à l’USL. Il fut à la fin de l’année affecté au Congo Brazzaville !
Évidemment tout ceci est devenu du passé après les deux premières années de l’USL et les résultats exceptionnels de ses étudiants.
Il faudra attendre dix-sept ans, janvier 2007 pour la création par le Président Abdoulaye Wade de l’Université de Ziguinchor devenue Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ), de l’Université de Thiès devenue Université Iba Der Thiam de Thiès (UIDTT) et du Collège universitaire régional de Bambey (CUR de Bambey).
Le CUR de Bambey faisait des enseignements à orientation professionnelle qui s’arrêtaient à la Licence ( BAC+3 ans). Suite à des grèves des étudiants, le CUR fut transformé en Université qui est aujourd’hui l’Université Alioune DIOP de Bambey ( UADB).
Six ans après, en 2013, trois nouvelles universités furent créées par le Président Macky Sall : l’Université Amadou Mactar Mbow à Dakar (UAM), l’Université du Sine Saloum El Hadj Ibrahima Niass (USSEIN) qui est une université agricole et l’Université virtuelle du Sénégal (UVS) qui est une université numérique.
La lenteur de la création des universités depuis les indépendances est liées à plusieurs facteurs.
Notre élite politique depuis les indépendances, et même aujourd’hui, n’est pas convaincue du leadership de la connaissance, de la compétence, de la science, de la technologie, de la recherche et de l’innovation dans la construction du développement.
Notre élite politique et une grande partie de notre élite ont une vision malthusienne de l’enseignement supérieur. Nous entendons régulièrement: le Sénégal a trop de bacheliers, trop d’étudiants, on ne peut pas orienter tous les bacheliers dans l’enseignement supérieur!
Ce sont malheureusement des préjugés erronés qui continuent de plomber ou de ralentir la constitution du capital humain dont notre pays a besoin.
Notre pays a besoin impérativement à la fois de formations d’élite et de formations de masse dans l’enseignement supérieur.
L’autre frein est constitué par les partenaires techniques et financiers qui, à des moments donnés, ont freiné le développement des universités. En 1993, la Banque mondiale conseillait de maintenir l’UCAD à 15 000 étudiants et l’USL à 5 000 étudiants!
Heureusement ces deux dernières décennies ont été marquées au niveau de l’enseignement supérieur par un changement total d’attitude favorable au développement de l’enseignement supérieur de la Banque mondiale et de beaucoup de pays dont les Étas unis et la France.
Missions
Chacune de ces universités sénégalaises a été organisée par des textes spécifiques sans la couverture d’un texte national et général qui définissait les missions et les principes d’organisation des universités publiques sur l’ensemble du territoire national.
Il n’y avait pas une politique nationale d’intégration des universités.
Ce que les étudiants vivaient à travers le refus fréquent d’une université publique de reconnaître le diplôme d’une autre université publique.
La loi relative aux universités publiques, dite Loi cadre, définit les missions et le cadre général de gouvernance des universités publiques sénégalaises.
Ces missions sont importantes car certaines d’entre elles répondent au besoins de l’économie, de la société et des communautés et créent ainsi les conditions légales de rompre la tour d’ivoire dans laquelle les universités sénégalaises se sont mues à l’image des universités françaises des années antérieures aux années quatre-vingt.
Les missions sont définies au chapitre 2 de la Loi. Je vais citer les six (6) missions les moins connues ou les moins appliquées par les universités publiques consignées à l’article 2 :
1. former les cadres supérieurs du Sénégal et des autres pays. À ce titre, elles (les universités) sont chargées de la formation initiale et de la formation continue, ainsi que de la préparation des jeunes étudiants à l’insertion dans la vie active.
La dernière partie de cette mission est fondamentale dans la prise en charge par l’enseignement supérieur de la formation professionnelle, de la formation dans les opportunités d’insertion professionnelle et les opportunités de création d’entreprises, etc.
Elle oblige les universités à intégrer dans leurs formations tout ce qui peut faciliter l’insertion économique, sociale et culturelle de l’étudiant.
Pour cela l’administration des universités doit disposer d’outils comme les bureaux d’accueil, d’information et d’orientation des étudiants, les services de préparation à l’entretien de stage ou d’embauche et d’accompagnement des étudiants pour trouver un stage, participer à des concours nationaux et répondre à des offres d’emplois, des incubateurs pour préparer et accompagner les étudiants innovateurs ou porteurs de projets.
Elle permet aussi aux universités d’explorer des domaines entrepreneuriales comme les fermes agricoles, l’industrie pharmaceutique, etc. Cette mission donne aux universités toutes les possibilités de développer les capacités d’entreprendre de leurs étudiants et de leurs corps professoral.
2. de contribuer à la recherche scientifique au niveau national et international, pour le développement économique et social du pays.
Cette mission est traditionnelle cependant sa dernière partie crée une ouverture sur la recherche développement (R&D) et l’innovation qui sont les faiblesses majeures des pays africains.
Nos pays produisent peu de brevets donc ils ont peu de souveraineté sur les technologies et les procédés utilisés dans nos entreprises.
3. de promouvoir la recherche scientifique et technologique pour une maîtrise des sciences, des techniques et du savoir-faire.
Cette mission complète la précédente qui est plus générale. Celle-ci se rapporte essentiellement à la R&D et à l’innovation.
4. de favoriser le service à la communauté.
Le service à la communauté est donc une exigence de service public réalisé par les universités publiques.
Le service à la communauté doit figurer comme un enseignement avec des crédits affectés, comme une activité de terrain des étudiants et des enseignants chercheurs et de l’Université. Par exemple UCAD rural fut une belle activité de l’UCAD de service à la communauté.
Les universités n’ont pas encore, en dehors de l’UVS, complètement intégrées cette activité qui est formatrice pour les étudiants et qui montre à la population toutes leurs utilités.
5. de développer les valeurs culturelles africaines.
Évidemment cette mission donne aux universités la possibilité de se refonder sur la base des valeurs culturelles africaines.
6. de promouvoir la coopération internationale avec les universités étrangères.
La mobilité des étudiants et des enseignants chercheurs, le partage de connaissance et de savoir faire sont essentiels dans les activités des universités.
Il y a une compétition mondiale dans l’accueil des meilleurs étudiants du monde dans laquelle nos universités doivent participer.
Leurs enseignants chercheurs doivent être invités dans les meilleures universités, les laboratoires les plus prestigieux. Leurs étudiants doivent participer à des programmes internationaux de mobilité et elles doivent être une destination prisée des étudiants en mobilité internationale des meilleures universités du monde.
Les enseignants chercheurs doivent être impliqués dans les grands programmes internationaux de recherche.
Les universités sénégalaises doivent accueillir les enseignants chercheurs, les penseurs, les scientifiques, les femmes et hommes de lettres et des arts, les plus prestigieux du monde. Cela participe à leur notoriété. Elle doivent aussi recevoir toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, participent de manière exceptionnelle au monde qui se fait.
Car l’Université doit être un laboratoire, un producteur et un accoucheur d’idées
Conclusion
Ces missions montrent bien que nos universités sont en retard dans leurs appropriations et leurs mises en œuvre.
En particulier, c’est ce qui explique l’insuffisance encore de leur relation avec le monde socio-économique et leur participation effective ( en dehors des ressources humaines) au développement du Sénégal.
Même si elle capitalise beaucoup de résultats enviables, il y a encore beaucoup de progrès à réaliser par la communauté universitaire sénégalaise.
Par Mary Teuw Niane